History
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Après la révocation de l’Edit de Nantes en 1685, le château d’If sert de lieu de transit pour les 3 500 protestants incarcérés sur ordre du Roi Soleil entre 1699 et 1713 et en attente de leur envoi aux galères marseillaises. De nombreux protestants ont ainsi péri entre les murs humides de ses terribles cachots, tandis que, dans le même temps, des conditions de détention bien plus favorables peuvent être offertes aux prisonniers de marque, femmes volages ou fils de famille, indisciplinés… et plus riches. Retour sur cet épisode glaçant de l’histoire du château d’If.
Désireux d’unifier le royaume sous une seule autorité religieuse pour maintenir l’ordre public, Louis XIV fait persécuter les protestants, notamment au cours des « dragonnades ». Finalement, il révoque l’Edit de Nantes en signant l’édit de Fontainebleau le 18 octobre 1685. En annulant l'édit par lequel Henri IV, en 1598, avait octroyé une certaine liberté religieuse aux protestants du royaume, le Roi Soleil interdit définitivement le culte réformé en France.
Sur le plan national, la conséquence est l’exil de quelques 200 000 personnes, parmi lesquelles de nombreuses élites. Comme l’écrit Saint-Simon, la révocation « ruina le commerce du royaume, fit passer nos manufactures aux étrangers, remplit toutes les provinces du royaume de parjures et de sacrilèges ». En effet, la France voit fuir non seulement les grandes fortunes protestantes, mais aussi toute une foule d'artisans, de marins, de soldats, de professeurs talentueux, au profit de l'Angleterre, des Pays-Bas, de la Prusse ou de l'Amérique.
© Archives Nationales
La liberté de culte étant interdite pour les prisonniers protestants, la condamnation se traduisait la majorité du temps par l’envoi des femmes en prison et des hommes aux galères. Le rassemblement pour les offices, l’arrestation sur le chemin de l’exil ou le refus d’abjurer lors d’un procès étaient des raisons suffisantes pour la condamnation aux galères. Les besoins en hommes y étaient considérables : la main d’œuvre pénitentiaire, très peu coûteuse, constituait une économie importante pour les finances royales. L’Arsenal des galères royales étant installé à Marseille, la cité phocéenne renferma donc de nombreux prisonniers protestants.
À If, on incarcéra surtout les « fortes têtes », les hommes ayant refusé de plier, même dans les dures conditions de vie des galériens.
© Gallica / BNF
Les forçats "dangereux’’ étaient ôtés des galères pour être jetés dans les cachots du Fort Saint-Jean, de la citadelle Saint-Nicolas, du château d’If, et dans les cellules ’’aménagées’’ sous les toits de l’hôpital des forçats. L’on y dénombrait une douzaine d’enterrés vifs vers 1700.
À If, les prisonniers étaient le plus souvent enfermés dans les culs de tour (tours Maugouvert et Saint Christophe essentiellement). Considérées comme les tours les plus abominables du château, elles n’étaient accessibles que par des échelles posées à l’extérieur de la forteresse. Ces espaces n’avaient pas d’air et pas de lumière naturelle. Très sombres, ils étaient de plus humides et remplis de vermine et d’ordures. Le taux de mortalité y était particulièrement élevé.
Ce sont principalement ces cachots qui donnèrent au château d’If sa terrible réputation, dont le génie de allait fortement s’inspirer pour écrire le Comte de Monte Cristo.
« A la voûte de ce fond affreux de tour, sous les pieds de ceux d’en haut, il y a un trou à passer un homme sur lequel il y a quatre bandes de fer, de sorte qu’ils ne reçoivent que fort peu d’air par ce soupirail, et point du tout de jour, tellement que ce lieu-là est si humide et si infect qu’on a peine à y subsister. Comme tous y tombent malades depuis quelque temps, on les fait monter là-haut, où ils restent quelques mois, et on fait descendre les autres, de cette manière, ils se soulagent. Je suis resté longtemps dans ce fond de tour, où il y a des légions de puces qui dévorent jour et nuit, et de belles tapisseries d’araignées. Il n’y manque pas d’autres insectes : les scorpions y sont fort abondants, mais ils ne font point de mal. »
- Jean Serres, prisonnier protestant, août 1709
Les Protestants purent cependant toujours correspondre avec l’extérieur et cela occasionna pour certains d’entre eux leur libération, sur fond d’accords diplomatiques. Ainsi, de précieux témoignages sur leurs conditions d’enferment purent parvenir jusqu’à nous.
© Gallica / BNF
En 1952, le pasteur Jacques Kaltenbach publie l'ouvrage Les Protestants sur les galères et les cachots de Marseille de 1545 à 1750. L’année suivante, une plaque est apposée dans la cour du château d’If.
A la mémoire des 3500 protestants condamnés pour cause de religion qui ramèrent sur les galères de Marseille de 1545 à 1750.
Plusieurs furent incarcérés au fort Saint Jean, au fort Saint Nicolas et dans cette forteresse.
Ils ont préféré les chaînes, la prison et la mort à l’abjuration.
On peut remarquer que la plaque est une commémoration géographiquement plus large qu’If même, mentionnant également d’autres prisons marseillaises. De même, la période englobe les débuts du protestantisme alors que la persécution religieuse qui amena les galériens réformés à Marseille puis à If battit son plein entre 1696 et 1713. Mais symboliquement, le célèbre château était l’endroit le plus représentatif de ces évènements. Un siècle après la parution du Comte de Monte Cristo, cet hommage aux prisonniers protestants à If est très symptomatique de la place désormais occupée par la forteresse dans l’imaginaire populaire comme lieu d’enfermement et d’injustice. Et ici d’intolérance.
© Romaine Allibert / CMN
Avec l’avènement de la période révolutionnaire puis républicaine, les protestants ont commencé à bénéficier d'un statut égal avec le reste de la population.
L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est sans aucune ambiguïté : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses ». Malgré des pics d’intolérance au XIXe siècle, la tendance est à l’apaisement.
Les protestants français ont joué un rôle important dans le vote de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l'État, voyant en elle une occasion de bénéficier d'une égalité des droits avec les autres Français.
En 2013, l'Église luthérienne et l'Église réformée de France se rassemblent pour former l'Église protestante unie de France. On comptait alors à peu près 2,8 millions de protestants en France.
© Gallica / BNF